L’auto-regulation du groupe comme facteur d’autonomie dans l’acquisition de la parole
J’ai voulu montrer dans cette intervention un modèle simple d’acquisition de la parole en L.E., modèle partant d’une écoute en partie authentique, en partie analytique, et se poursuivant par une tâche de production à réaliser en groupes. Il m’a semblé que, dans ce modèle, le succès de l’acquisition dépend de l’auto-régulation du groupe, dans lequel le professeur n’intervient que pour assurer la continuité des interactions des élèves, ceux-ci exerçant en pleine autonomie l’initiative des explications, des reformulations et des corrections. Cette pratique entraîne une bonne “socialisation” qui n’est pas perturbée par les différences entre les styles cognitifs et les aptitudes des apprenants.
Pour obtenir l’auto-régulation du groupe, on peut envisager trois types de conditions:
- conditions liées à la nature de la tâche
- conditions liées au fonctionnement du groupe
- conditions liées au comportement du professeur
La nature de la tâche
Au niveau linguistique, la tâche doit être fondée sur le principe que les élèves ont à leur disposition un certain nombre de séquences mémorisées qu’ils peuvent produire spontanément, et d’autre part, elle doit leur permettre de prendre des risques en leur laissant la possibilité de créer des phrases (au sens chomskyen du terme) et d’exprimer ainsi leur propre intention de communication. Si la part du “mémorisé” n’existe pas, la possibilité d’autonomie diminue, les élèves étant trop tributaires du professeur ou du dictionnaire pour produire spontanément. Si la part de “création” n’existe pas, il n’y a pas apprentissage, mals simple répétition.
Un exemple de ce type de tâche est le canevas de jeux de rôles, comportant un certain nombre de séquences, et la possibilité de les réaliser comme on veut. La réalisation du canevas en groupes permet d’intégrer les apprentissages lexicaux, morpho-syntaxiques, et socioculturels, à condition que cette tâche ait été précédée d’analyses de modèles de communication diversifiés où apparaissaient différents types de comportements socio-culturels et diverses réalisations morphosyntaxiques.
Au niveau psycho-pédagogique, la tâche doit permettre la communication de sentiments personnels (pôle affectif de la personne) et de jugements de valeur sur les formes linguistiques (pôle intellectuel). Ceci est rendu possible dans les échanges à l’intérieur du petit groupe par la part de liberté qui est laissée dans la production et par l’implication personnelle des élèves dans les rôles qu’ils ont choisi de jouer.
La réalisation de la tâche doit permettre aux élèves d’explorer la langue et leur donner la possibilité de “négocier les formems” à partir de sources d’information différentes: le dictionnaire, le professeur, le savoir des autres élèves ou le savoir tiré des textes.
La tâche doit rendre possible et productive l’hétérogénéité des apprenants. Ceci dépend de l’organisation des groupes (cf. ci-dessous).
La tâche, enfin, doit permettre une variété de productions différentes selon les groupes. Ces productions différentes entraineront des activités de correction des formes qui seront initiées et faites par les élèves. Il s’agit d’auto – correction et d’inter- correction, le professeur n’intervenant que si l’ensemble des élèves n’a pas réussi à trouver les bonnes formes. Cette phase de correction est capitale pour l’acquisition de l’aspect “précision” de la forme (accuracy), alors que la phase d’acquisition de séquences mémorisées entraîne la fluidité (fluency).
Le fonctionnement du groupe
La communication, à l’intérieur du groupe classe, ainsi que des petits groupes, doit répondre aux critères de communication sociale mixte, tels outils ont été définis par l’Ecole de Palo Alto. C’est-à-dire que chaque élève devrait se trouver tantôt en situation de communication symétrique, à égalité avec ses camarades, tantôt en situation de communication didactique ou complémentaire, soit en occupant le pole supérieur de la relation, soit en occupant le pole inférieur. L’élève “rapide”, occupant le pôle supérieur de la relation didactique verra son agressivité réduite ou même canalisée. Puisqu’il se trouvera aussi en situation symétrique ou parfois même occupera le pôle inférieur de la relation didactique, il ne risquera pas de devenir leader. Quant aux élèves pius faibles, s’ils ont peu de chance d’occuper le pôle supérieur de la relation dans le domaine de la compétence linguistique, ils peuvent être amenés, surtout en petits groupes, à fournir des informations d’autre type, dans le domaine des idées ou dans le domaine culturel, situation qui, naturellement, les valorise.
Cette communication sociale de type mixte évite les phénomènes de leadership et peut permettre aux élèves plus faibles de poursuivre l’apprentisage avec quelques chances de succès. Elle est rendue possible par de simples changements dans la constitution des groupes. Dans les classes adultes le professeur doit y veiller, s’il constate que certains groupes ont tendance à se figer. Pour fonctionner harmonieusement ce type de communication doit bénéficier d’échanges avant une certaine durée (15 à 20 minutes dans les tâches de production), sinon la relation n’a pas le temps de s’instaurer.
En outre, pour que le groupe fonctionne bien, les élèves doivent être informés de la règle du jeu suivante: tantôt ils auront le rôle de producteur destiné à recevoir un “feed-back” de la part des autres élèves, tantôt ils auront le rôle qui consiste à fournir le feed-back (dans la phase de correction). Cette dernière phase ne doit pas être vécue comme une critique, mais comme une recherche en commun des bonnes formes.
Le comportement du professeur
Le professeur doit se comporter physiquement et psychologiquement comme un membre du groupe (attitude – ton de la voix – gestualité).
Il doit laisser aux élèves l’initiative de l’explication du sens, des règles, des reformulations et des corrections. En agissant ainsi, il leur permet d’utiliser tout leur savoir, il leur fait comprendre que l’apprentissage dépend de l’utilisation optimale de ses propres ressources, et naturellement il permet que s’instaurent le maximum d’interactions entre les élèves, ce qui, pour l’apprentissage de la parole est fondamental.
Le professeur doit fournir les jugements de validité. C’est-à-dire qu’en dernier ressort, quand la classe n’a pas trouvé la solution, il est le seul à pouvoir dire ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. En effet, dans un groupe fonctionnant en autonomie, il doit exister une source de savoir incontestable, sinon le groupe risquerait de sombrer dans la névrose de l’incertitude, du “tout est possible”. C’est pourquoi aussi il n’est pas inutile que le professeur reprenne parfois les formulations spontanées des élèves en les répétant après eux sans jugements de valeur, mais avec l’intonation et les phonèmes corrects, comme s’il voulait s’assurer qu’il a bien compris ce qu’ils ont dit. Cela contribue à fournir un “input” à valeur modélisante dans une classe où le grand nombre d’interactions d’élèves risquerait d’entraîner des déviations par rapport à la norme phonétique.
Il apparaît donc que l’auto-régulation se met en place d’une manière “naturelle”, lorsque l’attitude du professeur la favorise dans des groupes dont la composition varie, et où les tâches permettent des productions diverses, mal adaptées à la compétence linguistique et communicative des élèves.